Madame Perret a eu la gentillesse de répondre à mes questions à propos de la famille Alcott et de sa biographie sortie le 17 octobre.
Un grand merci à elle !
Comment avez-vous fait la connaissance des filles March ? Que vous a apporté cette
rencontre ?
J’ai fait la connaissance des filles March, comme beaucoup d’enfants, par la
lecture vers huit ans. En découvrant le personnage de Jo, j’aurais pu faire
mienne cette phrase de Simone de Beauvoir : « Il y eut un livre où je crus
reconnaître mon visage et mon destin : Little Women, de Louisa Alcott. Je
m’identifiai passionnément à Jo, l’intellectuelle. (...) Elle était bien plus
garçonnière et plus hardie que moi ; mais je partageais son horreur de
la couture et du ménage, son amour des livres. » Qu’une héroïne, fut-elle
de papier, puisse nourrir les mêmes ambitions que moi était sacrément
réconfortant.
Selon vous, pourquoi Jo tient-elle une place si importante parmi les héroïnes de littérature
jeunesse ?
Je crois profondément que ce que Jo exprime transcende les époques. Le
lectorat (en majorité féminin) est parfaitement apte à dépouiller le roman de
son vernis historique et de références parfois obsolètes pour identifier en Jo
ses propres aspirations, ses doutes et ses désirs.
Jo se sent différente. Quelle fillette ne s’est pas sentie en décalage avec
son environnement ! Elle souhaite prendre un chemin autre que celui tout
tracé et attendu pour une fille. Elle a aussi le sentiment fort d’une vocation,
qui plus est artistique (en dehors du cadre plus rassurant d’une formation
sanctionnée par un diplôme, bien qu’à son époque les métiers que pouvaient
exercer les femmes étaient très limités). Une complication supplémentaire
lorsque vous avouez à haute voix un désir brûlant et intérieur à des adultes.
Ces derniers, croyant bien faire, vous énoncent généralement toutes les
difficultés et obstacles à venir plutôt que de vous encourager. La lectrice peut
partager avec Jo une aspiration secrète. Elle sait qu’elle sera comprise.
Faites-vous partie des lecteurs qui espéraient tant le mariage de Jo et Laurie ?
Je ne me souviens plus vraiment si j’espérais le mariage de Jo avec Laurie.
Mais je me souviens bien de ne pas avoir apprécié le pauvre Bhaer que je
jugeais trop vieux, pas assez joli garçon et pas assez riche pour Jo. Quitte à
trahir un peu de son indépendance en épousant un prétendant, à mon avis,
elle pouvait espérer mieux !! Bon, il est vrai qu’à l’époque de ma lecture,
Gabriel Byrne n’avait pas encore incarné le personnage à l’écran. La version
cinématographique aurait certainement modifié mon point de vue...
Que vous inspire Amy, personnage peu apprécié en général ?
Mea culpa, je fais partie des lectrices qui la considéraient plutôt comme une
petite peste vaniteuse. J’ai toujours songé que Laurie épousait un pis-aller
avec Amy !! Au moins il restait dans la famille à défaut de ne pouvoir convoler
avec Jo. Parce que, honnêtement, entre Amy et Jo, pour moi, il n’y avait pas
photo !
Comment expliquez-vous la popularité toujours actuelle de Little Women ?
Etonnant, n’est-ce pas ? Et quelque part très rassurant. Pour moi, la
popularité s’explique par la justesse du roman, de ses personnages,
probablement parce que l’auteur a vécu ces expériences. Elle n’a pas
simplement écrit avec talent un roman jeunesse, elle a transposé son enfance
en roman, très présente à la façon dont elle voyait les choses au même âge.
Comme je le disais au sujet de Jo, Little Women exprime une vérité universelle
et humaine sur la fratrie et sur le passage délicat de l’enfant à l’adolescent.
Pensez-vous que l'humour et le cynisme de Louisa sont présents dans les traductions
françaises ?
Je n’ai jamais eu le sentiment que Louisa ait été cynique : déçue,
désillusionnée parfois, oui, mais pas cynique. Elle a gardé son sens de
l’humour toute son existence, se moquant gentiment d’elle-même dans ses
écrits, y compris dans la littérature jeunesse. Dans An Old-Fashioned Girl,
publié en 1870 elle ironise sur sa nouvelle célébrité à travers le personnage
de Kate King, un auteur « qui venait d’écrire un livre à succès par hasard, et
se retrouvait à la mode ». Ce sont de petites perles perdues quelquefois au
cours de la traduction car peu de ses écrits ont été traduits, notamment les
romans pour adultes. Il était difficile en conséquence pour un traducteur
d’apprécier l’ensemble de l’œuvre de Louisa à sa juste valeur, surtout lorsque
l’éditeur lui demandait de « tailler dans le vif » pour caser le livre dans une
collection donnée.
Quelle traduction conseilleriez-vous aux lecteurs français ?
Vous me posez une question piège, quand on sait qu’aucune traduction
française n’est complète ! J’ai d’ailleurs rédigé tout un paragraphe dans mon
livre sur le sujet, les fameuses traductions et les « adaptations » tirées de
l’original. J’aurais très envie de m’en tirer par une pirouette et de suggérer
aux lecteurs français d’apprendre l’anglais afin de goûter aux charmes de
Little Women sans censure. Mais plus prosaïquement, et là, vous voudrez bien
m’excuser de prêcher pour ma paroisse, je conseillerais aux lecteurs de lire la
biographie de Louisa afin de bien comprendre le contexte d’écriture de Little
Women afin de pallier les défaillances des traductions...et d’en lire plusieurs !
Que pensez-vous des adaptations cinématographiques de Little Women ?
Elles ont toutes des points positifs et toutes des points négatifs. Cependant,
aucune ne remplace avantageusement le roman. En ce qui concerne les
actrices, prenez par exemple Katharine Hepburn dans le rôle de Jo dans la
version de 1933 : son énergie fantastique, sa gaucherie avec ses « grandes
mains, sa grande taille » sont bien celles de Jo. Mais l’actrice est beaucoup
trop âgée pour tenir ce rôle. Elizabeth Taylor fait une peste délicieuse
d’Amy dans la version de 1949. Dans celle de 1994, j’ai un faible pour Susan
Sarandon dans le rôle de Marmee.
Je trouve surtout que les adaptations cinématographiques nous
permettent de combler visuellement nos lacunes historiques en récréant
l’environnement de l’époque.
Comment vous êtes-vous intéressée à Louisa et aux Alcott ?
Mon éditeur, Guillaume Dervieux, m’avait proposé l’écriture d’une biographie
d’un personnage féminin anglo-saxon. Louisa s’est imposée immédiatement
car une partie de mes recherches concerne les Etats-Unis du XIXè siècle. Ce
qui est amusant, c’est que je n’avais pas osé lui dire que, enfant, j’avais adoré
le personnage de Jo.
Selon vous, comment est née la rivalité entre May et Louisa ?
Louisa et sa sœur aînée Anna ont vécu de plein fouet toutes les difficultés
de la famille. May a été relativement épargnée. De surcroit, le joli bébé était
chéri par son père, fasciné par sa beauté blonde, alors que les deux ainées
ressemblaient à leur mère. May était un peu, aux yeux de Louisa « la petite
gâtée de la famille ». Son père louait ses qualités de dessinatrice, persuadée
de sa réussite future, alors qu’il ignorait les efforts de Louisa qui tentait de
percer dans l’écriture. Louisa en était blessée. Mais lorsque May a débuté sa
carrière de peintre, la rivalité s’est déplacée : May a pris ombrage de la gloire
de sa sœur, tandis qu’elle peinait à se faire une place dans le milieu artistique.
A son tour, elle trouvait « qu’il n’y en avait que pour Louisa ». Cette rivalité a
été néanmoins modérée par le sens de la famille, essentiel chez les Alcott.
Comment décririez-vous les relations que Louisa entretenait avec ses parents ?
L’amour filial est une des composantes majeures de la vie de Louisa.
Il est évident que Louisa était très proche de sa mère. Il y avait, outre une
ressemblance physique, une complicité et une admiration mutuelle. Les
relations avec son père étaient plus problématiques. Louisa avait envie
de plaire à son père, qu’il soit fier d’elle. Mais ce qui faisait la singularité
de Louisa était aussi ce qui la tenait éloignée de son père. D’un autre côté,
malgré l’amour filial et paternel qui existait entre eux, Louisa n’était pas dupe
des faiblesses de son père, incapable de subvenir aux besoins de la famille.
Seul le temps a pu adoucir leur relation et rétablir un équilibre.
Avez-vous déjà visité Concord, Boston et Fruitlands ?
J’ai vécu et travaillé aux Etats-Unis. J’ai donc eu la chance de visiter souvent
les endroits cités autant par raisons professionnelles que par plaisir
touristique.
Comment avez-vous travaillé pour écrire cette biographie ? Quels sont les ouvrages qui
vous ont le plus aidé ?
J’ai d’abord choisi l’angle d’approche de la biographie. Il me semblait
important d’éclairer le lecteur français sur l’Amérique de Louisa. On a de
vagues notions de la guerre de Sécession, mais la formation intellectuelle
de l’Amérique date de cette période et les lecteurs français connaissent
mal les mouvements qui se sont mis en place à cette époque. D’autre
part, Louisa était un être de chair et de sang et je ne voulais absolument
pas que mes recherches, aussi pertinentes fussent-elles, deviennent un
obstacle pour « rencontrer » Louisa, qu’on oublie son côté humain pour
ne la considérer que comme un élément dans un paysage historique. C’est
pourquoi j’ai écrit en ayant les journaux intimes des principaux protagonistes
pour fils conducteurs. Les écrits personnels de la famille Alcott ont été les
ouvrages qui m’ont le plus aidé. Je me suis également beaucoup appuyée sur
le témoignage de leur entourage.
Mais avant de travailler proprement dit sur la biographie de Louisa, j’ai
commencé par lire et relire tout ce qu’elle avait écrit, du poème au roman,
en passant par les contes. J’ai également relu les ouvrages d’Emerson et
Thoreau, ses « dieux », ainsi que Charles Dickens, son auteur favori. Ensuite,
j’ai lu une quantité impressionnante d’ouvrages et de thèses, soit sur Louisa,
soit sur son entourage et son époque. Je voulais être à l’aise dans cette
période afin de pouvoir sans remord éliminer ce qui m’aurait fait passer,
certes, pour érudite, mais qui aurait nui à une certaine fluidité de lecture.
Pourriez-vous nous dire quel sera votre prochain sujet d'étude ?
Le projet n’étant pas encore signé, je vais rester discrète. Mais sachez qu’on
ne « sort pas » tout de suite de l’écriture d’une biographie. Lorsque vous avez
vécu au rythme de Louisa pendant un certain temps, elle ne vous lâche pas
aussi rapidement ! D’autant plus qu’elle a été d’excellente compagnie.